Affaire Kendji Girac : le procureur Olivier Janson avait-il le droit de donner autant de détails intimes sur le chanteur ?

Les fans du chanteur, ses agents et sa famille reprochent au procureur de Mont-de-Marsan d'avoir "divulgué l’intimité privée et familiale" de Kendji Girac.

Le procureur de la République de Mont-de-Marsan, Olivier Janson, lors d'une conférence de presse sur la blessure par balle de Kendji Girac (Photo by GAIZKA IROZ / AFP)
Le procureur de la République de Mont-de-Marsan, Olivier Janson, lors d'une conférence de presse sur la blessure par balle de Kendji Girac (Photo by GAIZKA IROZ / AFP)

Consommation excessive d'alcool, de cocaïne, tensions avec sa compagne, doute sur une éventuelle tentative de suicide... La longue conférence de presse du procureur de la République de Mont-de-Marsan suite à la blessure par balle de Kendji Girac fait hurler ses fans, mais aussi sa famille et ses agents.

Ces derniers ont déclaré dans un communiqué "regretter" que le procureur Olivier Janson ait "divulgué l’intimité privée et familiale", la famille a fait passer le même message, ne comprenant pas un tel déballage et étalage devant la France entière. Sur X, ses fans mais aussi ses proches ont fait part de leur même colère, comme le chanteur Vianney, avec qui il a collaboré par le passé.

L'article 11 du code de procédure pénale prévoit les cas dans lesquels le procureur de la République peut prendre la parole dans le cadre d'une enquête, et donc déroger au secret de l'enquête.

"Afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public ou lorsque tout autre impératif d'intérêt public le justifie, le procureur de la République peut (...) rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause", détaille ainsi le texte de loi.

Cette dernière possibilité, l'intérêt public, a été créée sous l'impulsion du ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, en poste depuis juillet 2020. Une circulaire de janvier 2022 tend à faire de la 'communication justice un axe essentiel de la politique pénale", écrit sur Actu-juridique Valérie Dervieux magistrate à la cour d'appel de Paris et membre du conseil national unité syndicat SNM FO.

Le texte prévoit désormais que le procureur de la République peut communiquer "lorsque tout autre impératif d’intérêt public le justifie, ce qui permet désormais d’évoquer publiquement toute affaire si cela apparaît opportun au regard des circonstances de l’affaire, dans le respect du secret de l’enquête et de la présomption d’innocence", détaille la circulaire de janvier 2023.

Dans le cas de Kendji Girac, "la question concerne les motivations pour lesquelles on dévoile des éléments de l'enquête, on est là dans le cas d'une personnalité publique, en plus, au vu des circonstances avec la couverture médiatique autour de l'affaire, on peut considérer que le procureur a intérêt à communiquer. C'est en tout cas une possibilité qui lui est donnée par la loi", nous détaille Aurélien Martini, vice-procureur au tribunal de Melun et secrétaire général adjoint de l'Union syndicale des magistrats (USM).

En revanche, dans le cas où il s'agit d'une personne qui n'a pas de visibilité médiatique et que le procureur expose sa vie privée, il n'a pas d'intérêt à le faire", prolonge Aurélien Martini.

De nombreux détails de la vie privée du chanteur ont été donnés par le procureur, comme l'alcoolisation massive et fréquente, la consommation hebdomadaire de cocaïne ou encore les disputes conjugales.

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"La difficulté des procureurs c'est qu'ils sont pris par des mouvements de société assez forts comme l'engagement nécessaire de la justice sur les violences intrafamiliales. C'est sans doute pour cela que le procureur parle de prise d'alcool et de stupéfiants, pour comprendre le climat autour des faits. Dès qu'il y a une possibilité de violence conjugale on en parle pour pas que cela reste caché, surtout dans le cas d'une personnalité médiatique", analyse le secrétaire général adjoint de l'Union syndicale des magistrats (USM).

Le procureur a précisé durant sa conférence de presse qu'il n'y avait pas de trace de violence physique, mais affirmé que Kendji Girac a expliqué son geste par sa volonté de "Simuler un suicide" pour "faire peur à sa femme, l’impressionner", un acte considéré comme une violence psychologique.

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Face à la colère des agents du chanteur ou encore de sa famille de voir des éléments de la vie privée dévoilés par le procureur, "il n'a pas fait de faute, puisque la loi lui permet de rentrer dans les détails de l'enquête. L'intérêt de dévoiler des éléments de la vie privée peut se discuter à l'infini, mais on ne peut pas parler de faute", ajoute Aurélien Martini, vice-procureur au tribunal de Melun et secrétaire général adjoint de l'Union syndicale des magistrats (USM).

Néanmoins, sa famille ou ses agents "peuvent toujours déposer plainte ou saisir le CSM (Conseil Supérieur de la Magistrature, ndlr) en vue d'un procédure disciplinaire mais le procureur était dans ses fonctions, qui sont de communiquer des éléments de la procédure à un instant T, donc elles ont peu de chances d'aboutir. Le procureur a donné ce qu'il a voulu, en étant pris entre deux écueils : donner des informations objectives sur l'évolution d'une procédure et rester taisant et éviter d'en dire trop", ajoute Valérie Dervieux, magistrate à la cour d'appel de Paris et membre du conseil national unité syndicat SNM FO.

Une conférence de presse du procureur dont la durée, plus d'une heure, a également été pointée du doigt comme étant un élément favorisant l'étalement de la vie privée de Kendji Girac. "Il y a un mouvement médiatique très fort autour de l'affaire, la communication est à la hauteur de cette couverture médiatique", estime Aurélien Martini, alors que la conférence de presse a été diffusée en direct sur les chaînes d'informations en continu, reprise sur de nombreux sites d'information et journaux télévisés.

Une communication accrue des procureurs, permise par l'évolution du Code de procédure pénale, que constate Valérie Dervieux : "Les communiqués des procureurs sont de plus en plus publiés, comme sur Linkedin. Dès qu'il y a un article de presse, dans la PQR, ou une reprise dans les médias, il y a une communication du procureur", nous explique-t-elle.

Certains procureurs sont ainsi particulièrement actifs sur les réseaux sociaux, comme Éric Vaillant, procureur à Grenoble, pour "informer la population sur l’action de sa Justice" et "lui montrer que la Justice fait son travail", explique-t-il à Village de la justice.