"Tu lui imposes la charge mentale de tes règles" : sur Instagram, une créatrice de contenu prise à partie... Parce que son mari lui a acheté des tampons

Sur Instagram, Alison Cavaille-Jouannet pensait poster une innocente vidéo pour remercier son mari d'avoir acheté des tampons. Mais en quelques heures, des dizaines de commentaires malfaisants se sont accumulés sous la publication, l'accusant de forcer son conjoint à "porter la charge mentale" des règles. Une situation qui en dit long sur le tabou qui entoure les menstruations.

"Tu lui imposes la charge mentale de tes règles" : sur Instagram, une créatrice de contenu prise à partie... Parce que son mari lui a acheté des tampons. © Getty Images
"Tu lui imposes la charge mentale de tes règles" : sur Instagram, une créatrice de contenu prise à partie... Parce que son mari lui a acheté des tampons. © Getty Images

En mai 2021, une étude Ifop en partenariat avec la marque Intimina montrait que 33% des personnes menstruées avaient déjà subi des moqueries ou des humiliations de la part de leur entourage, au sujet de leurs règles. Près de trois ans plus tard, la situation ne semble pas vraiment avoir changé. En témoignent les réactions outrées sous une vidéo d'Alison Cavaille-Jouannet, fondatrice de la marque Tajine Banane.

Sur Instagram, l'entrepreneuse et mère de famille a publié une vidéo dans laquelle elle explique que ses règles ont débarqué par surprise, et qu'elle n'a pas de protections menstruelles sur elle. Son conjoint lui répond alors : "T'inquiète, j'ai." L'homme prévoyant dévoile alors une boite de tampons gardée dans la voiture : "Je sais que tu oublies tout le temps", glisse-t-il. "Les hommes, vous pouvez acheter une boîte de tampons ou de serviettes et la glisser quelque part dans vos affaires, votre virilité n’en prendra pas un coup. Je vous le jure", affirme son épouse, fière de son mari.

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Si bon nombre de personnes se sont extasiées devant le caractère prévenant de la démarche, d'autres n'ont pas hésité à critiquer ouvertement Alison et son époux. "Ce sont les tampons de sa maîtresse", "Il a surtout pensé à sa voiture. J'aurais aussi le seum que tu taches ma bagnole avec ton liquide de choune poissonneuse"... Un commentaire qui renforce le cliché selon lequel les règles seraient sales, alors que ce n'est pas le cas.

Mais les remarques déplacées ne s'arrêtent pas là, puisque plusieurs personnes, des hommes, majoritairement, affirment : "Genre le progrès c'est ça, c'est le mec qui doit prendre la charge mentale de gérer vos menstruations", oç encore "ca demande l'indépendance, mais c'est même pas capable d'assumer son propre corps. Vous donner le droit de vote était une erreur."

Contactée par nos soins, Alison Cavaille-Jouannet affirme avoir été surprise par les commentaires négatifs au sujet de sa vidéo. "Je ne m'attendais pas à avoir des réactions négatives, dans le sens ou pour moi, ce n'était pas un sujet. Même mon fils de 16 ans a, dans sa chambre et dans son sac à dos, des serviettes menstruelles au cas où pour ses copines. Mon mec en a dans sa voiture. Pour nous, ce n'est pas un sujet, ça fait partie de notre corps. Donc, quand j'ai fait le reels, c'est parce que ça m'a touchée. Mon compagnon sait que j'ai des cycles qui ne sont pas réguliers, et que ça tombe comme ça, et à force de me voir en galère, il en a tout le temps sur lui. J'ai trouvé ça trop marrant, c'est vraiment le mec de la situation", affirme-t-elle.

Et de préciser : "Je ne m'attendais vraiment pas à avoir des réactions aussi débiles, je me suis dit : "Les gars, vous dites tout ce qu'on vous reproche." J'ai cru que c'était des trolls, mais non. C'est hilarant. Moi, je n'ai pas l'impression que ça mette une charge mentale à mon mari d'être attentionné. Tendre une boîte de tampons, c'est simplement faire attention aux personnes avec qui tu vis, ça n'a rien à voir avec de la charge mentale. C'est un commentaire qui m'a bien fait rire. Avoir ses règles, c'est une charge mentale. Dire qu'on l'inflige à quelqu'un d'autre parce que cette personne est attentionnée, ça me fait bien rire."

Par ailleurs, l'entrepreneuse qui milite notamment pour la normalisation de l'allaitement en public, ne peut s'empêcher de voir des similitudes entre les commentaires qui lui disent "d'apprendre à se gérer", et ceux qui lui reprochent d'évoquer ses règles publiquement. Notamment quand les commentaires proviennent de femmes : "Les commentaires négatifs de femme restent une minorité, il y en a qui parlent beaucoup de pudeur, et ça je l'entends, chacun place la pudeur où il le veut. Mais quand on me dit : "Gère-toi"... Moi j'oeuvre pour permettre aux femmes d'allaiter dans l'espace public, et c'est la même chose que je lis pour l'allaitement. Cette espèce de méchanceté première et ce rejet qui vient des femmes, c'est pas anodin."

Ces commentaires découlent en effet d'une forme de misogynie intériorisée : à force d'être éduquées à se cacher, et à force de subir le tabou des règles, bon nombre de personnes estiment qu'il est de leur devoir de cacher le fonctionnement de leur corps. Y compris pour des choses aussi naturelles que les règles ou l'allaitement.

Plusieurs études et des milliers de témoignages évoquent le poids mental, physique et économique que représentent les menstruations. Les protections menstruelles et les anti-douleurs coûtent aux personnes menstruées plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines d'euros par an, et la précarité menstruelle pousse chaque année des personnes à mettre leur santé en danger, en utilisant des protections non-adaptées. Par ailleurs, faute d'un congé menstruel normalisé, les personnes réglées sont nombreuses à travailler dans la souffrance, ou à poser des jours de congés pendant leurs règles pour pouvoir prendre soin d'elles. Le tout sans oublier le stigma social autour des règles.

Dans plusieurs pays, les personnes réglées doivent se tenir à l'écart des autres pendant leurs menstruations. Et la France ne fait pas exception, puisque sur les réseaux sociaux, de nombreux hommes cisgenres reprochent à leurs compagnes de ne pas pouvoir avoir de rapports sexuels pendant leurs règles. Certains vont même jusqu'à refuser de partager le lit conjugal pendant cette période du mois.

En parallèle, de plus en plus d'hommes prennent l'initiative d'avoir des protections menstruelles dans leurs affaires pour aider leurs compagnes, leurs filles ou leurs amies. Un geste anodin, qui peut pourtant représenter une aide et qui permet de lutter contre le stigma, sans imposer de charge mentale à qui que ce soit. Mais ces derniers sont, encore et toujours, l'objet de moqueries. Le tabou des règles a encore de beaux jours devant lui.

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